DESAIX et Vivant DENON, les amis des Arts.
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Dominique Vivant Denon, baron Denon, né à Givry ou Chalon sur Saône, le 4 janvier 1747 et mort à Paris le 27 avril 1825, est un graveur, écrivain, diplomate et administrateur français. Il est le grand précurseur de la muséologie, de l’histoire de l’art et de l’égyptologie.
Placé à la tête de la section » littérature et arts » de l’Institut d’Egypte, Denon était surtout connu pour son goût des antiques et comme auteur d’une commédie, Julie ou le Bon Père (1769), et d’un petit roman licencieux, Point de lendemain (1777).
Homme des Lumières, attaché d’ambassade (Russie, Suède, Suisse, puis Naples, où il prit le goût de l’archéologie, écrivain, érudit, peintre et dessinateur. Membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture, il est proche du peintre Jacques Louis David, qui le recommande à Robespierre. Au plus fort de la Terreur, il se réfugie à Venise. Sous le Directoire, il était un familier de Joséphine de Beauharnais, il participe à l’expédition d’Egypte, parcourant la Haute-Egypte à la suite de Desaix. Il admire Bonaparte qui le lui rend bien. Habile à la flatterie, il sait aussi prendre des risques malgré ses cinquante-deux ans.
Il obtient sans peine de suivre la division Desaix lorsque celle-ci remonte la vallée du Nil à la recherche des mamelouks de Mourad Bey qui si sont réfugiés.
Son périple, qui le conduit sur le site de Thèbes, à Philae, Kôm Ombo et jusqu’à Assouan s’avère très inconfortable : » Les dessins, je les ai faits le plus souvent sur mon genou, ou debout, ou même à cheval, je n’ai jamais pu en terminer un seul à ma volonté, puisque, pendant toute une année, je n’ai pas trouvé une seule fois une table assez bien dressée pour y poser une règle ».
Loin du mécénat tranquille des cours princières, la « protection » des sciences et arts reprend sur le terrain son sens premier. Républicain des lettres curieux d’antiquités, Desaix ne perd rien de la clairvoyance de l’homme de guerre ni de la parole de l’homme d’honneur.
Cette harmonieuse composition est bien illustrée par la réponse du général à l’impatience que Denon manifeste d’aller reconnaître les ruines d’Abydos, à al-‘Araba : « Je veux vous y conduire moi-même, Mourat-bey est à deux journées, il arrivera après-demain, il y aura bataille, nous déferons son armée, l’autre après-demain nous ne penserons plus qu’aux antiquités, et je vous aiderai moi-même à les mesurer. Nous passâmes vis-à-vis les antiquités, Desaix n’osoit pas me regarder. Tremblez, lui dis-je, si je suis tué demain, mon ombre vous poursuivra, et vous l’entendrez sans cesse autour de vous répéter, El-Araba.
Il se souvint de ma menace, car cinq mois après il envoya de Siouth l’ordre de me donner un détachement pour m’y accompagner. Avec lucidité, Denon ajoute : » Il avait raison le bon Desaix le surlendemain, c’était la bataille de Samanhûd et quand sa raison n’auroit pas été bonne, il auroit bien fallu que je m’en accommodasse. »
Denon rédige en fait son Voyage à son retour en France, à partir de notes et croquis pris sur le vif.
Voyages dans la basse et haute Egypte, pendant les campagnes de Bonaparte.
Il réussit dans son voyage à alimenter imaginaire glorieux et oriental, faisant oublier l’échec militaire de l’expédition.
Mémorialiste, il n’hésite pas à revisiter le passé à sa connaissance du futur, comme lorsqu’il quitte Desaix pour suivre Belliard qui remonte le Nil : « Je devois rejoindre bientôt Desaix, nous avions fait la veille mille projets pour l’avenir, nos adieux furent cependant mélancoliques, cette fois, notre séparation me parut plus douloureuse. Devois-je penser que, si jeune, ce seroit lui qui me laisseroit dans la carriere, que ce seroit moi qui le regretterois? nous nous séparâmes, et je ne l’ai plus revu. »
et aussi: » Le 4, Desaix partit avec la cavalerie pour aller chercher Elfy-bey, que nous avions laissé derrière nous à la droite du fleuve. Je n’avais pas encore quitté Desaix depuis que j’étais sorti du Caire : j’ose dire avec quelque orgueil que ce fut un chagrin pour tous deux ; nous avions passé ensemble des moments si doux et si répétés, marchant au pas côte à côte pendant douze à quinze heures de suite ; nous ne causions pas, nous rêvions tout haut; et souvent, après ces séances si longues, nous nous disions : Combien nous aurons de choses à nous dire le reste de notre vie ! Que d’idées administratives, sages, philanthropiques, arrivaient à son âme quand le son de la trompette ou le roulement du tambour cessaient de lui donner la fièvre guerrière. Que de notes intéressantes me fournirait aujourd’hui son étonnante mémoire ! avec quel avantage je le consulterais ! avec quel intérêt il verrait mon ouvrage, qu’il aurait regardé comme le sien ! En s’éloignant de moi pour quelques moments, il semblait qu’il voulût par degrés m’accoutumer à le quitter. »
Mais, pour les membres de l’Institut d’Égypte ou de la Commission des sciences et arts, le héros n’est pas seulement militaire et républicain. Ainsi, pour Denon, Desaix est un savant, un curieux, un ami des arts.
Membre de la mission envoyée en haute Égypte en mars 1799 sous les ordres de Girard pour en étudier le régime du Nil et le système d’irrigation, le jeune polytechnicien Devilliers rapporte que Desaix « fut assailli à coups de pierres par les sauvages habitants » du village de Gournah, près de la Vallée des Rois à Thèbes.
Livré à son amour pour les arts, Desaix s’était distrait en allant parcourir les curiosités de l’ancienne capitale qu’il venait de conquérir.
Que de vainqueurs avant lui avaient passé sur ce sol avec des dispositions bien différentes, ne songeant qu’à porter le ravage et la ruine dans tous ces monuments que Desaix, lui eût voulu rendre à leur premier état et à leur antique splendeur!Ensemble, face aux vestiges de l’antique Oxyrhinchos, ils méditent encore sur le thème des ruines : « Mon ami, me dit-il, ceci n’est-il point une erreur de la nature ? rien n’y reçoit la vie ; tout semble être là pour attrister ou épouvanter ; il semble que la Providence, après avoir pourvu abondamment les trois autres parties du monde, a manqué tout-à-coup d’un élément lorsqu’elle voulut fabriquer celle-ci, et que, ne sachant plus comment faire, elle l’abandonna sans l’achever. – N’est-ce pas bien plutôt, lui dis-je, la décrépitude de la partie du monde la plus anciennement habitée ? ne seroit-ce pas l’abus qu’en auroient fait les hommes qui l’a réduite en cet état ? Dans ce désert il y a des vallées, des bois pétrifiés ; il y a donc eu des rivieres, des forêts : ces dernieres auront été détruites ; dès-lors plus de rosée, plus de brouillards, plus de pluie, plus de rivieres, plus de vie, plus rien. »
Un autre épisode, est l’occasion pour Denon de préciser le caractère de Desaix : « Nous approchions de Tintyra [Denderah]: j’osai parler d’une halte, mais le héros me répondit avec humeur, cette défaveur ne dura qu’un moment, bientôt, rappelé à son naturel sensible, il vint me rechercher, et partageant mon amour pour les arts, il se montra leur ami, et peut-être plus ardent que moi. Doué d’une délicatesse d’esprit vraiment extraordinaire, il avoit uni l’amour de tout ce qui est aimable à une violente passion pour la gloire, et à un nombre de connoissances acquises les moyens et la volonté d’ajouter celles qu’il n’avoit pas eu le temps de perfectionner, on trouvoit en lui une curiosité active qui rendoit sa société toujours agréable, sa conversation continuellement intéressante. »