Desaix, des témoignages sur sa mort.
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Bourrienne, secrétaire du Premier Consul, a écrit à ce sujet:
On a raconté la mort de Desaix de différentes manières et je n’ai pas besoin de dire que les paroles que lui prête le fameux bulletin étaient imaginaires. Il n’est pas mort dans les bras de son aide de camp Lebrun, comme j’ai dû l’écrire sous la dictée du Premier Consul; il n’a pas non plus prononcé le beau discours que j’écrivis de la même manière.
Voici ce qui est exact ou du moins ce qu’il y a de plus probable: La mort de Desaix fut inaperçue au moment même où il fut frappé de la balle qui mit fin à ses jours. Il tomba sans rien dire, à peu de distance de Lefebvre-Desnoëttes. Un sergent du bataillon de la 9e brigade d’infanterie légère, commandée par Barrois, aujourd’hui le général Barrois, le voyant étendu par terre, demanda à celui-ci la permission d’aller prendre sa capote; elle était percée dans le dos, et cette circonstance laisse en doute si Desaix fut tué en se portant à la tête des nôtres, par la maladresse de ses propres soldats, ou par l’ennemi en se retournant vers les siens pour les encourager.
Au surplus, le choc dans lequel il a succombé a été si court, le désordre si instantané, le changement de fortune si subit, qu’il n’est pas étonnant qu’au milieu d’une telle confusion, les circonstances de sa mort n’aient pu être constatées d’une manière positive. (Mémoires de Bourrienne.)
.Savary, aide de camp de Desaix, a raconté les circonstances dans lesquelles s’est fait le transport du corps de son général :
Le colonel du 9e léger m’apprit qu’il (Desaix) n’existait plus. Je n’étais pas à cent pas du lieu où je l’avais laissé; j’y courus et je le trouvai par terre, au milieu des morts déjà dépouillés et dépouillé entièrement lui-même. Malgré l’obscurité, je le reconnus à sa volumineuse chevelure, de laquelle on n’avait pas encore ôté le ruban qui la liait.
Je lui étais trop attaché depuis longtemps pour le laisser là, où on l’aurait enterré sans distinction, avec les cadavres qui gisaient à côté de lui. Je pris à l’équipage d’un cheval mort à quelques pas, un manteau qui était encore à la selle du cheval; j’enveloppai le corps du général Desaix dedans et un hussard, égaré sur le champ de bataille, vint m’aider à remplir ce triste devoir envers mon général. Il consentit à le charger sur son cheval, et à le conduire par la bride jusqu’à Garofoli, pendant que j’irais apprendre ce malheur au Premier Consul, qui m’ordonna de le suivre à Garofoli, où le lui rendis compte de ce que j’avais fait; il m’approuva et ordonna de faire porter le corps à Milan pour qu’il y fût embaumé. (Mémoires du duc de Rovigo.)
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Savary, dans une lettre adressée de Paris, le 22 messidor an 8 (11 juillet 1800), à Mlle Desaix, a donné des détails sur la blessure de Desaix :
Presque aussitôt que le général Desaix eut expiré, il fut dépouillé, selon le barbare usage de la guerre; il ne lui est resté que sa chemise, lorsqu’il fut emporté, mais elle était tellement pleine de sang que la putréfaction n’a pas permis de la conserver. Je voulus faire brûler son coeur, mais il était tellement déchiré par la balle meurtrière qu’il était corrompu au bout de douze heures. Je n’ai pu que faire couper sa chevelure et conserver mon mouchoir, tout teint de sang, avec lequel on a essayé d’étancher sa blessure. (Martha-Beker, Études sur le général Desaix.)
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Campagne de 1800 par le duc de Valmy.
Dès la première charge de sa division, Desaix tomba, non pas frappé à la tête d’un coup mortel, comme le dit Walter-Scott, mais d’une balle dans la poitrine, qui traversa le coeur en entier et sortit par le dos. L’erreur commise par Walter-Scott, au sujet de la blessure de Desaix, est d’autant plus extraordinaire que son corps, embaumé, fut déposé à l’hospice du Grand-Saint-Bernard, où mille voyageurs anglais ont pu le voir, puisque son cercueil, qui était-couvert d’une glace à l’endroit de sa poitrine, présentait le trou de la balle; et, à cet égard, mon assertion doit avoir quelque poids, car c’est à moi, comme agent principal des hôpitaux, chargé de la direction de ceux de Milan, que le corps de Desaix fut adressé le surlendemain de la bataille, et je fus obligé de recourir, pour le faire embaumer, aux deux seuls chirurgiens français qui se trouvaient à Milan.
Ayant consulté les deux chirurgiens chargés de l’embaumement de Desaix, sur la nature de sa blessure, ils me confirmèrent ce que l’inspection du cadavre m’avait déjà révélé, que le général, en tombant, n’avait pu dire un seul mot.
En conclusion.
Le fait matériel de la blessure au coeur est confirmé par des témoins oculaires. Après avoir lu les récits suivants, on est obligé de penser que Desaix a dû expirer sans avoir le temps de prononcer une phrase historique.
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