.
Extrait du Journal de la campagne de l’armée de réserve, par l’adjudant-commandant Brossier.
La jonction de toutes ses forces de Mélas se fit le 24 à Alexandrie; et, le 25, il prit toutes ses dispositions pendant la nuit, et passa la Bormida sur les trois ponts qu’il avait établis à cet effet. Son armée était forte d’environ 40,000 hommes, et le général Zach la commandait sous ses ordres.
La première ligne marchait sous la conduite de plusieurs généraux-majors, sans être précédée de cette foule de tirailleurs qui accompagnent ordinairement les attaques des Autrichiens.
Une nombreuse artillerie légère précédait cette première ligne et en protégeait tous les mouvements.
La seconde ligne, commandée par le général Mélas en personne, était formée de l’élite de l’armée, tant en officiers qu’en soldats, et elle avait ordre de faire feu sur tous ceux de la première ligne qui oseraient faire un pas rétrograde.
Des effets d’habillement avaient été distribués la veille; la solde payée pour cinq jours, et l’eau-de-vie donnée abondamment le matin.
L’armée française, bien inférieure en nombre, n’était que d’environ 23,000 hommes d’infanterie et 2,00e de cavalerie, en comptant toutes les troupes qui ont combattu dans cette journée; mais, au commencement de l’affaire, elle n’était réellement que de 15,000 . . . . .
Les divisions commandées par le général Victor. . . . . enfoncées d’ailleurs sur leur centre, se virent obligées à faire une marche rétrograde. Quelques fuyards mirent un moment le désordre dans les rangs; mais la fermeté des chefs en contint la masse, et le général Kellermann, à la tête de sa brigade, protégea la retraite avec l’activité et le courage réfléchi qui lui sont familiers. L’impulsion de retraite une fois donnée dut être suivie par tous les autres corps qui allaient nécessairement être enveloppés, parce que l’ennemi, profitant de cette circonstance, poursuivait vigoureusement ses succès et marchait, avec la majorité de ses forces, sur San-Giuliano. . . . .
La division du général Monnier. . . . . parvint à se faire jour à travers la ligne autrichienne et à opérer, sous la protection de la brigade aux ordres du général Champeaux, sa retraite sur San-Giuliano, où la totalité de l’armée se réunissait à la division Boudet qui, conduite par le général Desaix, venait d’arriver sur ce point.
Le sort de la bataille était encore douteux à 6 heures du soir; tous les généraux, avides de danger, parcouraient les rangs pour ranimer l’ardeur des soldats; mais rien ne pouvait l’exciter davantage que la présence du Premier Consul, au milieu des plus grands dangers, bravant tous les hasards et opposant le calme de la constance aux caprices de la fortune. C’était l’instant décisif.
Le Premier Consul confère quelques instants avec le général Desaix et passe presque toute la ligne en revue; l’ordre d’une nouvelle attaque est donné.
Le lieutenant général Desaix se place au centre, sur la grande route, entre San-Giuliano et Cassina-Grossa, avec la division Boudet; la 9e légère occupant la gauche de la route sous les ordres du général Monnier, et la 30e et la 59e de ligne, commandées par le général Guénand, portées sur la droite; il avait sur son front: une pièce de 12, quatre de 8 et deux obusiers.
Les grenadiers de la garde des Consuls, conduits par le chef de bataillon Goulez, sont à droite entre ces corps et les troupes aux ordres du général Lannes. La division Gardanne occupe la gauche de la division Boudet et s’appuie à la droite de la brigade du général Kellermann. La division Monnier, un peu en arrière de la division Boudet, est prête à se porter où les événements nécessiteront sa présence, et la division Chambarlhac, avec le surplus de la cavalerie, forme la réserve.
L’ennemi, croyant la victoire assurée, avançait avec rapidité, et déjà il avait atteint la hauteur de Cassina-Grossa.
Desaix marcha à sa rencontre au pas de charge. La présence du héros avait réchauffé tous les courages et chacun brûlait d’impatience de suivre son généreux exemple. l’ennemi s’arrête et la fusillade s’engage à la petite portée de pistolet. La valeur, l’audace, la persévérance, toutes les vertus guerrières se font également admirer dans les deux armées. Une partie de la division Watrin marche par la gauche et court appuyer ce premier mouvement, laissant la 40e en ligne.
Le général Monnier, s’apercevant que la droite se trouvait dégarnie par la manoeuvre du général Watrin et qu’elle était déjà dépassée par plus de 2,000 chevaux, appuyés par une artillerie formidable, marche à la tête de la majeure partie de sa division et de la 40e. Les grenadiers de la garde consulaire s’ébranlent en même temps, se réunissent à lui et, tous ensemble, se présentent à l’ennemi.
Ce fut là qu’il s’engagea une, charge terrible et telle que cette journée mémorable n’en avait point encore vue d’aussi meurtrière.
Les troupes des demi-brigades semblaient disputer l’honneur du danger aux intrépides grenadiers.
La mort volait dans tous les rangs et frappait de tous les côtés; elle moissonna plus du tiers de ces braves, sans que leur masse en fût ébranlée.
Ils ont conservé, dans les plaines de San-Giuliano, au milieu du plus affreux carnage, le sang-froid et l’attitude qu’on admire en eux, lorsqu’ils défilent en parade au palais des Tuileries; enfin, leur héroïque résistance a contenu la gauche de l’ennemi et a préparé la victoire.
Au centre, le combat se continue avec un acharnement sans exemple et paraît se ranimer à tout instant avec une nouvelle ardeur.
La division Gardanne et deux bataillons de la 72e se réunissent aux divisions Boudet et Watrin.
Les deux armées se rapprochent encore, se serrent et s’attaquent à la baïonnette.
La cavalerie autrichienne se précipite dans les rangs de l’infanterie française qui se mesure corps à corps et la force à reprendre sa ligne. Mélas tente un dernier effort; il porte en avant un corps d’élite de 5,000 grenadiers hongrois sur lequel il fondait tout son espoir et qui devînt la. cause première de sa défaite.
La 9e légère, contre laquelle ce corps se trouve particulièrement dirigé, marche à sa rencontre au pas de charge.
Tant d’intrépidité en impose à l’ennemi, qui s’arrête et balance. . . . . La victoire ne pouvait rester plus longtemps indécise, et le général Kellermann la fixe par une charge aussi audacieuse que faite à propos.
A la tête du 8e de dragons et des 2e et 20e de cavalerie, il s’avance au grand trot en face de cette colonne; puis il se déploie habilement par sa droite, met sa troupe au galop, dépasse rapidement l’ennemi et le charge impétueusement de revers, pendant que la 9e légère l’attaque de front. Vainement il veut fuir; le désordre dans lequel il se trouve ne lui en laisse ni le temps ni les moyens; la frayeur s’en empare, et le seul parti qui lui reste est de mettre bas les armes.
Le premier coup était porté!
Un si brillant succès devient pour l’armée le signal d’une charge impossible à décrire.
L’ennemi est ébranlé de toute part; il veut disputer encore un terrain qui lui avait comité tant de sacrifices ; mais l’impétuosité française ne laisse point à sa tactique méthodique le temps de se rallier; la déroute gagne simultanément toutes ses colonnes; il est attaqué sur tous les points, chassé du village de Marengo, poursuivi sans relâche, battu et culbuté partout et obligé de repasser en désordre la Bormida, abandonnant une partie de son artillerie et laissant le champ de bataille couvert de morts et de blessés. Ce fut une charge dernière, exécutée par Kellermann à la tète d’un parti de 200 hommes réunis à la cavalerie de la garde consulaire qui mit fin au combat, et la nuit ne permit pas de harceler plus longtemps l’ennemi.
Les divisions Gardanne et Chambarlhac reprirent position sur le champ de bataille, en face de la tête du pont d’Alexandrie, à peu près sur le terrain qu’elles avaient occupé le matin.
Mort du lieutenant général Desaix. – Cependant, ce triomphe éclatant devenait, pour l’armée, une source de regrets éternels, puisqu’il fut acheté au prix du sang du général Desaix.
Le champ de l’honneur est devenu le tombeau de celui dont la vie tout entière fut consacrée à l’honneur.
Il a péri au sein de la victoire, frappé d’une balle à la poitrine, au moment où il conduisait la division Boudet à la reprise du village de Marengo.
Ses campagnes sur le Rhin et en Égypte rendent son éloge superflu; mais sa mort enlève un appui à la République, un père aux soldats et un modèle aux vertus sociales.
L’ennemi a perdu, dans cette journée, environ: 12,000 hommes, dont 6,000 prisonniers; 4,000 blessés et 2,000 tués; 8 drapeaux, 20 bouches à feu et des munitions de guerre considérables. Il a eu 400 officiers de tous grades et 8 généraux hors de combat des généraux Haddick et Bellegarde sont du nombre de ceux-ci) ; le général Zach, chef de l’état-major général, a été fait prisonnier.
L’armée française a souffert aussi très sensiblement; mais une bataille décisive qui a duré treize heures, pendant lesquelles il a fallu lutter sans cesse contre un ennemi bien supérieur et lui arracher la victoire, devait coûter de grands sacrifices. Elle a perdu environ 6,000 hommes, dont plus des trois quarts blessés ou prisonniers.
Honneur à la mémoire des braves qui ont péri dans les champs de Marengo! Honneur aux soldats qui ont fixé la victoire et aux chefs qui les conduisaient! La reconnaissance nationale écrira les noms de tous sur la colonne élevée à la victoire.
Le général en chef Berthier a ordonné tous les mouvements avec la précision qui caractérise le guerrier consommé, et a soutenu, à Marengo, la célébrité qu’il a si justement acquise en Italie et en Égypte sous les ordres de Bonaparte. Il a été atteint d’une balle au bras. Deux de ses aides de camp, Dutaillis et La Borde ont eu leurs chevaux tués.
Le général Dupont, chef de l’état-major général, s’est, pour ainsi dire, multiplie ; aussi profond militaire qu’administrateur habile, il unit à la théorie de la guerre l’art si difficile des dispositions et sait les exécuter avec autant de précision que d’intrépidité.
L’armée de réserve, organisée, dirigée et conduite tant de fois par lui à la victoire durant sa glorieuse campagne, n’oubliera jamais qu’elle lui doit une partie des succès qu’elle a obtenus à Marengo. Le citoyen Decouchy, son premier aide de camp, n’a pas cessé de combattre à ses côtés.
Les lieutenants généraux Victor, Murat et Lannes ont acquis de nouveaux droits à l’admiration générale des armées françaises.
Les généraux de division n’ont pas cessé de combattre à la tête de leurs colonnes. Leur exemple a été suivi par tous les autres généraux.
Le général Boudet a été atteint d’une balle qui s’est amortie sur l’argent qu’il portait dans sa poche.
Le même hasard est arrivé au général Guénand.
Les généraux de brigade Mainoni, Malher, Champeaux et Rivaud ont été blessés.
Le général Champeaux est mort de la suite de ses blessures.
La conduite héroique du général Kellermann se trouve consignée dans les détails de cette célèbre journée.
L’adjudant général Berthier, le chef de brigade Bessières, commandant la garde à cheval des Consuls, le chef de brigade du 8e de dragons et les citoyens Colbert, Beaumont et Didier ont mérité les suffrages du lieutenant général Murat.
L’adjudant général Léopold Stabenrath a chargé la cavalerie ennemie avec les grenadiers de la garde des Consuls.
L’adjudant général Pamphile Lacroix mérite une mention particulière par le zèle dont il a fait preuve et par les talents militaires qui le distinguent.
Les adjudants généraux Nogues, Isard, Delage, Pannetier, Girard et Dalton ont fixé, par leur bravoure, l’attention de toute l’armée. Le second a été blessé.
L’adjudant général Dampierre a été fait prisonnier au moment de la retraite, après s’être défendu opiniâtrement, avec 200 hommes, contre un corps entier de cavalerie autrichienne; il avait perdu la moitié de son monde.
Tous les officiers d’état-major se sont disputé l’honneur des dangers et ont singulièrement contribué à rallier les troupes et à les ramener au combat.
Les lauriers que Lucien Watrin avait cueillis à Montebello, le 20, ont été changés en cyprès, le 25, à Marengo. Ce jeune guerrier a été emporté d’un coup de canon au moment ne la retraite en chargeant à la tête de la 22e de bataille. Sa mort est une perte sensible pour la patrie qui avait lieu d’attendre beaucoup de ses talents et de sa valeur.
Le citoyen Soules, commandant des grenadiers de la garde consulaire, s’est couvert de gloire et s’est montré digne chef de cette troupe intrépide.
Le citoyen Rigaud, chef de brigade du 10e de hussards et commandant du quartier général, a eu deux chevaux tués.
Tous les corps, en général, ont honoré le nom français, et chacun d’eux en particulier s’est distingué par quelque action d’éclat. Un même sentiment les enflammait tous: la victoire! ou la mort!
Les chefs ont montré un dévouement et une intrépidité au-dessus de tout éloge, ainsi que les officiers de tous les grades.
Les rapports des généraux désignent plus particulièrement:
Les citoyens:
Legendre Chefs de brigade.
Valhubert, blessé
Maçon, de la 6e légère
Ferey de la 24e légère
Bisson, de la 43e de ligne
Lepreux, de la 96e de ligne
Le chef du 1er de dragons
Le chef de la 28e de ligne
Gérard, du 2e de cavalerie Chefs d’escadron
et de bataillon.
Fertel, –
Dauturre, –
Taupin, –
Blou, du 2e de chasseurs Capitaines.
Tétard, du 20e de cavalerie
Montfleury, du 2e de cavalerie
Girardot, –
Terre, –
Lamberty, –
Frely, –
Bigarne, du 1er de dragons
Gavory, du 2e de cavalerie Lieutenants.
Vergé, –
Poitel, –
Picquet, –
Courtois, –
Moraux, –
Fraunoux, –
Decoux, – Sous-lieutenants.
Petitot, –
Renaud, du 11e de cavalerie
Jalland, adjudant au 2e de cavalerie.
Velaine, maréchal des logis au 2e de cavalerie.
Le citoyen Alix, chef d’escadron au 2e de cavalerie, a enlevé un drapeau.
Le citoyen Jolle, capitaine au 1er bataillon de la 59e, a eu le même honneur.
Les citoyens Leboeuf, cavalier au 2e, et Georges Amptil, conscrit à la 30e, en ont aussi enlevé chacun un.
Le citoyen Leriche, cavalier au 2e, a fait prisonnier le général Zach, chef de l’état-major de l’armée autrichienne.
Sur tous les points, l’artillerie des Consuls et celle des divisions se sont illustrées par leur activité et leur valeur.
Un boulet coupe une jambe au citoyen Conrad, lieutenant d’artillerie à cheval. Il tombe, et l’on s’empresse autour de lui pour le porter à l’ambulance; mais il s’était soulevé et observait froidement le tir de sa batterie.
» Laissez-moi, dit-il, et allez ordonner aux canonniers de tirer plus bas » . . . Généreux dévouement! Oubli sublime de soi-même, au-dessus de tout éloge et de toute récompense!
.