Correspondance avec sa soeur
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Ce qui m’a singulièrement intéressé, ému même, dans cette partie de la vie de Desaix, c’est la correspondance qu’il entretint avec sa sœur.
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Au quartier général de Reicbstett, 21 brumaire an II de la République (11 novembre 1793)..
.C’est depuis longtemps, charmante petite sœur, que je n’ai reçu de tes nouvelles , j’en suis bien désolé, j’aime bien à savoir ce qui t’arrive, je désirerais, à toutes les minutes, apprendre que tu es gaie, que tu danses et que tu es contente, mais point du tout, malgré mon impatience les courriers ne m’apportent rien, je m’en attriste. Je suis resté, il est vrai, quelques jours sans écrire à maman, mais je ne le pouvais dans la retraite que nous avons faite, le poste de l’armée s’était retiré fort loin , j’étais accablé d’ouvrage, je n’avais pas le temps d’écrire, ni le moyen d’envoyer des lettres. Je craignais bien que vous ne fussiez inquiètes de moi, je sais combien vous m’êtes toutes attachées, et combien vous désirez qu’il ne m’arrive pas de malheurs. Je t’assure que vous avez bien tort de vous tourmenter si fort, je vais toujours très-bien, ma santé est bonne, ma blessure est entièrement guérie, je n’en attends plus que quelques autres, pourvu qu’elles soient glorieuses et utiles à mon pays. Que j’aurai de plaisir, charmante petite sœur, de te présenter mes cicatrices glorieuses , de te raconter mes souffrances et mon courage! Tu me couvriras de tes baisers, de tes caresses, et je serai dans l’enchantement , ce sera ma récompense la plus agréable. Aime-moi bien, charmante petite sœur, tu sais que nous sommes destinés à passer notre vie ensemble, à en adoucir les maux, ainsi pense à moi et souvent. Quand la guerre terrible et effroyable qui ravage et dévaste, qui sépare les amis , sera enfin terminée, simple, ignoré, paisible, content d’avoir contribué à rétablir la paix et à repousser les cruels ennemis, les barbares étrangers qui veulent nous faire la loi, je viendrai près de toi et nous ne nous séparerons plus, nous adoucirons la vieillesse de la bonne maman ,nous chercherons à la rendre heureuse, je soupire bien après ce moment.
Je ne crois pas avoir le plaisir de t’embrasser cette année encore , l’hiver approche et la campagne ne finit pas, elle est bien dure. Plains nos malheureux volontaires couchés à terre , dans la boue jusqu’aux genoux , et fatigués d’un service pénible et continuel. Plains-moi aussi, charmante petite sœur, je suis élevé à un grade difficile et pénible , que je n’ai accepté qu’avec le plus grand regret. Je suis général de division et commande l’avant-garde , c’est bien de l’ouvrage pour ton frère, que tu sais très jeune encore et pas très-expérimenté. J’espère que la fortune m’aidera , qu’elle me sourira , et qu’avec un zèle sans bornes, bien de la bravoure, je réussirai à faire triompher les armes de la république, tu ne saurais croire combien j’en ai le désir. Si la victoire me couronnait , j’en déposerais les couronnes entre les mains de maman, comme autrefois je lui donnais celles de lierre que me méritait mon assiduité au collége. Je lui suis bien attaché à cette bonne maman, je l’aime au delà de ce qu’on peut dire. Que je voudrais la savoir contente et heureuse! Je suis bien désolé de voir , au milieu de mes richesses, avec les riches appartements qu’on m’a donnés, que je ne puisse pas réunir une somme un peu considérable pour l’aider, elle ne m’a pas encore dit qu’elle en eût besoin. Je crains qu’elle ne me le cache. Tu sais bien que tu as toujours été la confidente de mon cœur, que je n’ai jamais rien eu de caché pour toi, eh bien! dis-moi, avez-vous besoin de quelque chose? Parle vite, je serai trop heureux de me priver pour vous offrir tout ce que je possède. Si je n’avais pas eu du malheur pour mes chevaux, j’aurais pu payer mes dettes , mais , malheureusement , ils sont hors de prix. Qu’il m’en faudrait beaucoup, et que j’en ai peu ! Le joli cheval qui m’avait rendu des services réels, qui avait été blessé d’un coup de sabre, et que j’aimais beaucoup, est devenu aveugle, pour le remplacer , il faut deux mille livres. Tu sais combien cela se trouve peu facilement, cependant mes économies me les procureront. Mais, je t’en conjure, dis si maman est à court d’argent, j’ai quelques assignats de mes économies, je lui en ferai parvenir. Si je la savais dans le besoin, je serais au désespoir, je serais bien loin du bonheur. Adieu, charmante petite sœur , aime-moi bien , pense à ton frère, etc.
Signé : DESAIX..
Desaix avait vingt-cinq ans et était général de division, lorsqu’il écrivait ces pages charmantes, où éclatent, avec une grande sensibilité, tant de naturel, et cet amour de la gloire, qui permet d’accomplir de grandes choses.
Les feux de l’aurore, ne sont pas si doux que les premiers rayons de la gloire. (Vauvenargues)
.Desaix, avait été touché de ces premiers rayons!
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