L’expédition scientifique
Mais le plus important est que Desaix, a ouvert la porte de la Haute-Egypte dans laquelle se précipitent une équipe d’une vingtaine d’élèves de Polytechnique accompagnant l’armée, encadrés par deux jeunes ingénieurs, Jean-Baptiste Jollois et Edouard de Villiers du Terrage, qui mènent, le plus souvent sans escorte, une exploration plus méthodique des monuments.
Ils exécutent des centaines de relevés et des restitutions d’une qualité stupéfiante, sur lesquels s’appuieront les premiers égyptologues.
Leur mission.
Inventorier les sublimes vestiges d’une civilisation de quarante siècles! On peut imaginer leur saisissement en découvrant les temples érigés par vingt cinq dynasties de Pharaons : Memphis, Abydos, Esné, Dendérah, Karnak, Louqsor, Kom Ombo, Edfou, les colosses de Memnon et Philae. La splendeur des monuments découverts leur fait oublier leurs très dures conditions d’existence..
Le Caire, les jardins de l’Institut.
L’œuvre scientifique.
Au milieu des combats, les savants ont travaillé comme des forcenés. Dans les premiers mois, il leur faut répondre en priorité aux besoins de l’armée. Le chimiste Jacques-Pierre Champy met sur pied une usine à poudre. Nicolas Conté, un inventeur autodidacte, se signale par une activité débordante, il est « la colonne de l’expédition », selon Berthollet. Il fait surgir de rien des ateliers de fonderie et de mécanique dans l’île de Roudah, résout le problème crucial du pain en élevant des moulins à vent, improvise une fabrique d’uniformes, lance une ligne télégraphique entre Alexandrie et Le Caire…
Bonaparte appelle aussi ses savants à créer des services publics modernes : Postes, Monnaie, Domaines.Les deux imprimeries apportées de France sortent deux journaux très appréciés : Le Courier de l’Égypte et La Décade égyptienne, des typographes égyptiens y sont formés.
Dans un esprit encyclopédique, savants, ingénieurs, artistes, économistes sont saisis d’une fièvre de mesures, de description, de recension.
La découverte la plus importante est celle de la civilisation pharaonique. On étudie les pyramides de Gizeh sous toutes les coutures, le site de l’ancienne Tanis est exploré.
Bonaparte, a tenu à organiser la vie savante à l’image de celle de la France. D’où, le 22 août 1798, la fondation de l’Institut d’Égypte. L’honorable assemblée se réunit sous la présidence de Gaspard Monge. On y lira des communications très importantes, comme celle du 29 juillet 1799 relatant la fabuleuse découverte de la pierre de Rosette. Cette immense activité scientifique déployée en trois ans ne sera pas totalement perdue (pour l’Europe tout au moins). Elle fournit en effet la matière de la monumentale Description de l’Égypte..
Le grand choc de la Haute-Egypte.
Le grand choc viendra de la Haute-Égypte, en fait, Desaix, a auprés de lui, depuis le mois de novembre, un compagnon de grande valeur, Dominique Vivant Denon.
baron dominique vivant_denon
Entre ces deux hommes s’installe immédiatement une réelle amitié faite de curiosité intellectuelle, de savoir et d’amour de l’Orient.
Grâce à Desaix, la présence de Denon est mieux acceptée par les corps militaires qui n’aiment pas avoir des savants dans leurs jambes, tel celui qui avant une bataille, avait ordonné sous les rires: » les ânes et les savants au centre! ».
Denon est stupéfait par la beauté des temples de Dendérah, Karnak, Louxor, Syène (Assouan), Philae.
Il publie une relation de son voyage en 1802 (Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte), grand succès de librairie.
Même le plus fruste des troupiers n’échappe pas à l’émotion.
Le capitaine Duvernois, raconte le choc ressenti par ses soldats à la vue du temple de Karnak : « Sans qu’un ordre fût donné, les hommes formèrent les rangs et présentèrent les armes au son des tambours et des clairons.»
Les seules déprédations à déplorer sont des graffiti de noms dans la pierre.
Un témoin raconte: Desaix et Denon, malgré le danger » ils couraient aux monuments comme les soldats à la bataille « .
Les deux hommes ne se lassent pas, comme le raconte Denon dans ses mémoires: » Je brûlais d’aller à Hermopolis où je savais qu’il y avait un portique célèbre; aussi, qu’elle fut ma satisfaction lorsque Desaix me dit, nous allons prendre trois cents hommes de cavalerie et nous y courrons. Je soupirais de bonheur. C’était pour ainsi dire le premier fruit de mes travaux, les premières pierres qui eussent conservé leur première destination qui sans mélange et altération, m’attendaient là depuis quatre mille ans pour me donner une idée immense des arts et de leur perfection dans cette contrée. »
Denon désire aller à Abydos, Desaix lui répond: « Je veux vous y conduire moi-même. Mourad Bey est à deux journées, il y arrivera après demain, il y aura bataille, nous déferons son armée, l’autre après demain, nous ne penserons plus qu’aux antiquités et je vous aiderai moi-même à les mesurer. »
L’attitude de la population de la vallée du Nil surprend agréablement les soldats. D’abord intriguée par les travaux des savants, elle en comprend vite le sens et l’intérêt. Elle se mêle à la troupe et coopère dans la mesure de ses moyens.
Edouard de Villiers du Terrage, a laissé un témoignage de l’aventure de Desaix en haute Égypte : « A Esné, il y avait à l’extrémité septentrionale de la ville un magnifique jardin, planté à l’orientale, appartenant à Hassan Bey. Les Français l’avaient adopté comme lieu de promenade et de réunion. Pendant notre séjour à Esné, les principaux cheiks de la ville nous y donnèrent un repas que sa singularité et la franche gaîté qui y régnèrent m’empêcheront d’oublier. Il m’a rappelé très exactement les descriptions qui nous sont parvenues de ces sortes de fêtes chez les peuples anciens de l’Orient. Tous les officiers de la garnison et les principaux habitants de la ville furent convoqués dans le jardin. La grande allée, dans toute sa longueur, était couverte de tapis sur lesquels le dîner fut servi. Autour de ces tapis s’assirent à terre, pêle-mêle, les Français et les Musulmans, et, quelque peu instruits que fussent les Égyptiens de la langue française, et les Français de la langue arabe, la conversation ne languit à aucun moment. Les habitants d’Esné étaient naturellement doux. Une partie de la brave 21 ème demi-brigade légère, après avoir vaincu les Mameluks, jouissait à Esné de la paix qu’elle avait conquise et beaucoup de soldats trouvaient autant de plaisir que de profit à exercer leurs anciens métiers. Les jeunes Égyptiens se mettaient en apprentissage chez nos ouvriers. Les usages, les costumes, le langage se mêlaient à faire croire qu’ils seraient bientôt confondus.
Un autre témoin: « La nuit, les temples furent illuminés, et, jusqu’au lever du jour, on vit les cavaliers de Desaix, mêlés aux paysans thébains, danser la farandole autour des béliers d’Amon et des éperviers d’Horus… ».
L’équipe des chercheurs ne manque la visite d’aucun temple et en tire des descriptions précises avant d’achever ce périple à Philae, aux limites d’une Afrique inconnue.
Denon devant regagner le Caire, la séparation d’ avec Desaix est douloureuse comme il le raconte plus tard: « J’ose dire avec orgueil que ce fut un chagrin pour nous deux. Nous avions passé ensemble des moments si doux, si répétés, marchant au pas côte à côte pendant douze à quinze heures de suite où nous ne causions pas. Nous rêvions tout haut et souvent, après ces séances si longues, nous nous disions combien de choses nous aurions à nous dire, le reste de notre vie. Que d’idées administratives, sages, philantropiques arrivaient à mon âme quand le son de la trompette ou le roulement des tambours cessaient de lui donner la fièvre guerrière! Que de notes intéressantes me fourniraient aujourd’hui son étonnante mémoire. »
A quoi pense Denon en écrivant ce texte? sachant qu’il ne reverra plus jamais Desaix, son ami, son général-guide en Haute Egypte.
En bref, à lui tout seul, Desaix a conduit en haute Égypte une épopée dans l’épopée. Bonaparte lui témoignera sa vive admiration.
Devant l’ampleur des découvertes et l’enthousiasme de Denon, Bonaparte décide de renforcer la première équipe de savants par deux commissions. L’une est chargée de lever la topographie de la vallée du Nil. L’autre a pour tâche principale d’étudier les inscriptions murales, clés de l’égyptologie.
La pierre de Rosette.
À l’été 1799, au cours de travaux menés près de Rosette, un lieutenant du génie, polytechnicien, Pierre Bouchard découvre une stèle de basalte de 1 mètre de haut.
Elle porte trois inscriptions disposées en bandes horizontales : en hiéroglyphe, en démotique (caractères cursifs de l’ancien égyptien) et en grec. Bouchard comprend aussitôt qu’il s’agit de traductions du même texte. Le général Menou fait traduire la partie grecque, qui révèle un décret sacerdotal en l’honneur du roi Ptolémée V (210-181 av. J.C.) La pierre est envoyée à l’Institut du Caire où son importance n’échappe à aucun des savants. Une triple empreinte de la pierre est réalisée, dont une est envoyée en mars 1800 à l’institut de France. Malgré les protestations de Menou, la stèle sera saisie par les Anglais en 1801. C’est en partie grâce à la pierre de Rosette que Jean-François Champollion donnera la clé des hiéroglyphes en 1822.
Conclusion:
Force est de reconnaître que l’expédition d’Egypte se solde par un échec militaire total. Les Français quittent l’Egypte en 1801, avec les honneurs de la guerre, mais vaincus. Or cet échec militaire reste un événement considérable dans l’histoire des connaissances car c’est la première fois qu’une expédition militaire s’est doublée d’une expédition scientifique. Une fois le fracas des armes terminé et oubliée l’amertume du retour, une autre aventure a commencé : la publication des travaux des savants. Jamais on avait mis autant de moyens financiers et techniques dans une édition scientifique, et l’oeuvre produite est un monument irremplaçable:
Le 18 février 1802, Chaptal, ministre de l’intérieur convoque les savants de retour d’Egypte pour nommer parmi eux une commission de huit membres, chargée de réunir et de publier tout le matériel scientifique de l’expédition. Un premier volume de gravures est présenté à l’empereur en janvier 1808 et les premiers volumes paraissent en 1809. D’abord publiés par ordre de l’empereur, les volumes successifs seront ensuite publiés par ordre du roi et les derniers, datés de 1823 mais édités en 1826 le seront simplement par ordre du gouvernement. La qualité typographique des textes, la beauté des gravures et les formats ( les plus grands formats font 1 m x 0,81m ) font de la Description un ouvrage exceptionnel.
∞
Commentaires et pings sont desactivés.
Bonjour,
Je dispose d’un scan d’une photo prise en 1890 à Ayat sur Sioule le 17 Aout lors de l’inauguration du monument à la gloire du général Desaix. Je peux vous l’envoyer si vous le souhaitez. C’est un document historique que je souhaite partager avec ceux qui s’y intéressent de près.
Cordialement
Cher Roger,
Je suis intéressé par le DVD GASPARD DE LA MEIJE!
Merci de rentrer en contact avec moi!