Bérézina. La bataille de Bolchoï-Stakhov.
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Où sont les grands, les intrépides soldats de la Grande Armée?… la neige des steppes russes a gardé le secret de leur mystérieuse sépulture… ils dorment!… leur lance gît à leur coté, leur bon cheval repose étendu à leurs pieds, la faim a tué le coursier comme le froid a saisi le cavalier. Tous ont subi patiemment leur destinée, tous sont tombés sur le chemin de la retraite comme une longue suite de victimes, tous ont subi la même destinée, la mort les a enveloppés à la fois.
C’est l’histoire de tous les isolés, trainards, qui ont souffert un supplice de si longue durée, soit fugitifs et se cachant au fond des bois, soit prisonniers des Russes et livrés à la garde des Cosaques.
Ils étaient plus de quatre cent mille, leur marche ressemblait à la course sans frein d’un torrent, c’était une immense ligne d’acier éclatante aux rayons du soleil. Dans leurs rangs on eût entendu les dialectes de tous les peuples, c’était Babel en mouvement.
Parmi ces courageux soldats prêts à courir au canon pour exécuter la pensée suprême d’un conquérant et ses rêves de civilisation par la guerre et qui les a conduit dans l’immense déroute de Moscou, il y avait des Espagnols, des Portugais, des Allemands, des Italiens, des Belges, des Suisses, des Croates, des Tyroliens, des Egyptiens (restes de la garde consulaire) des Prussiens, des Autrichiens, des Polonais, etc…
On ignore encore le nombre immense de Français qui allèrent peupler la Sibérie. Marcher et ne pouvoir se roposer, souffrir et ne pouvoir expirer, voilà le résultat de cette pitoyable odyssée.
14 Décembre 1812.
La Grande Armée n’existe plus.
Cette désastreuse campagne de Russie, se ferme sur une page de gloire:
Le passage de la Bérézina
De juin à décembre 1812, la Grande Armée compta jusqu’à 647 000 combattants, de ceux-ci, pas plus de 100 000 arrivèrent jusqu’à la Bérézina, dont seulement 36 000 sous les armes. Le reste n’étant plus qu’une foule sans organisation.
Pour Napoléon l’essentiel était de sauver les troupes régulières encore valides, le corps des officiers généraux, l’artillerie, la trésorerie, c’est-à-dire tout ce qui lui était indispensable pour continuer à se battre contre la coalition européenne.
Il lui fallait ordonner que les troupes en parfait état traversent la Bérézina d’abord, ce qui nécessitait de faire préserver leur accès aux ponts et d’en tenir à l’écart la foule s’y amassant. Quand, dans son entourage, on se risqua à lui faire remarquer les blessés, les malades, les soldats sans affectation et les civils qui attendaient patiemment leur tour de traverser, Napoléon aurait répondu, dit-on; « Qu’ai-je à faire de ces gueux, qu’ils se débrouillent ! » (Joseph de Maistre. Moscou. La défaite de Napoléon, dans Rodina/la Patrie, N°6-7/1992, p.163.)
Sur les blessés agonisant le long de la route, le magnétisme n’agissait plus, le contraire eût été surprenant. Peu avant la ville de Borissov, gisait sur la neige un employé de l’administration de l’armée qui venait d’avoir les deux jambes brisées par un chariot. Comme Napoléon passait à cheval à la tête de l’escadron sacré, cet homme se souleva sur ses bras: « Voilà, s’écria-t-il, ce misérable pantin qui nous mène depuis dix ans comme des automates! Camarades, il est fou, méfiez-vous de lui, il est devenu cannibale! Le monstre vous dévorera tous! » L’Empereur passa sans paraître le voir ni l’entendre.
La bataille de Bolchoï-Stakhov.
28 Novembre 1812
Ney m’a pris à part et quand nous sommes sortis, m’a dit en allemand: «Notre position est inouïe, si Napoléon se débrouille aujourd’hui, c’est le diable qui vit en lui.» (Général Rapp)
.Pendant ce temps, dans les bois du village de Stakhov bordants la rive droite de la Bérézina, le 28 novembre, vont se réaliser les pires craintes, la bataille va faire rage, il faut protéger les abords des ponts lieu de passage des survivants de l’armée française.
Pour le 100ème anniversaire du passage le 29 novembre 1912 on a commencé la construction du monument près du village de Brili, où les cendres de deux mille combattants russes de l’armée du Danube reposent sous des tertres funéraires dans les fosses communes. Avec l’argent recueilli par la souscription des officiers et des soldats, la construction a été conduite et finie en six mois.
Les auteurs du monument sont le peintre I. Misko et l’architecte S.I. Samtsévitch. La solution est simple et expressive: une plaque commémorative est fixée sur un immense bloc de granit. Nous pouvons lire l’inscription en français et en biélorusse : « Ici l’Armée de Napoléon a franchi la Bérézina 26-29 novembre 1812. Hommage aux soldats qui disparurent alors ». Actuellement le mémorial est érigé sur les terres d’un kolkhoze portant le nom de Koutouzov, ex-champ de Brili. Il est surveillé par les pompiers du centre Républicain de formation cantonné dans le village de Svetlaya Rochtcha. Il est consacré aux Français péris ici dans la région des villages de Stoudianka et de Brili en novembre 1812. Au fond nous apercevons la Bérézina et le village de Stoudianka. .
L’amiral Tchitchagov trompé par les manoeuvres des français, se tenait près de la ville de Borisov, il avait enfin compris la situation, Napoléon allait franchir la rivière au passage de Studianka.
Dés le matin il dépêche la 9ème et la 18ème division d’infanterie en renfort aux généraux Kornilov et Tchaplits, car ceux-ci avaient déjà commencé les hostilités avec les effectifs existant sans attendre l’arrivée de renforts. Les Russes vont attaquer simultanément sur les deux rives, à Brilli (rive droite), et à Studianka (rive gauche). Dès la pointe du jour, le canon annonça par son tonnerre que, sur la rive gauche, Wittgenstein, arrive par la route de Borisov avec ses 40.000 hommes, et sur la rive droite c’est Tchitchagov avec ses 27.000 hommes, marchant contre les entrées des ponts. Heureusement, le terrain boisé sur lequel se déroulent les combats, de la rive droite, sont peu propices au déploiement en ligne et les Français résistent désespérément, en de violents combats de tirailleurs.
Témoignage du soldat suisse Bussy : « Nos rangs s’éclaircissent. On n’ose plus regarder à droite et à gauche, de crainte de ne plus voir son ami, son camarade. Nos rangs se resserrent, notre ligne se raccourcit et le courage redouble. Horrible carnage ! Pour arriver devant nos ponts, il faut qu’ils nous passent dessus, qu’ils nous écrasent tous jusqu’au dernier. On ne sent pas le froid. »
Oudinot est blessé, Ney le remplace et repousse les Russes sur Borisov.
Témoignage du Baron de Bausset : »Le maréchal Oudinot, atteint d’une balle dans le côté, fut obligé de se retirer. Le général Legrand, l’un de nos plus habiles généraux, y fut aussi blessé. Alfred de Noailles y fut tué. ».
Sur la rive gauche, les troupes de Victor, qui a, depuis 9 heures du matin, toute l’armée de Wittgenstein a combattre, tiennent tête à un ennemi largement supérieur en nombre, continuant de protéger les ponts aux abords desquels se presse une horde de traînards et une masse de voitures et de bagages. Pendant des heures, cette foule va entendre siffler les boulets que l’on tire d’une rive à l’autre, par-dessus leurs têtes.
Sur la rive gauche en couverture de Studianka, dans une magnifique action, 800 cavaliers, conduits par le colonel von Laroche, repoussent ceux de Wittgenstein (34e chasseurs), qui sont pourtant cinq fois plus nombreux. Mais ils vont être bientôt contraints d’abandonner le terrain.
La confusion est intense, Éblé et ses pontonniers essayant en vain de canaliser cette foule désespérée.
Témoignage du général Rapp : « Je vis des charges d’infanterie et de cavalerie très brillantes ; celles que conduisait le Général Fournier (en fait, le colonel Fournier promu général le 11 novembre 1812, a quitté le champ de bataille, blessé gravement à la jambe) surtout étaient remarquables par leur ensemble et leur impétuosité. »
L’amiral Tchitchagov, ne sachant pas commander des troupes sur terre, demanda au général Ivan Vasilievich Sabanéev de diriger les forces Russes sous son commandement, mais aussitôt celui-ci fit la faute de déployer plus de la moitié des ses tireurs en une large chaîne avant d’arriver jusqu’au lieu des combats. Le maréchal Ney ayant remarqué cette erreur avait déjà jeté de la cavalerie à l’attaque, les cavaliers français se sont frayé a coups de lances et de sabres un chemin à travers la première chaîne et ensuite ont visé la colonne trop étendue des tireurs de Sabanéev, alors la position des Russes s’est avérée critique. C’est à ce moment que Tchaplits a jeté à l’assaut les deux escadrons des hussards de Pavlodar et ont enfoncé les rangs de la cavalerie française. Sur la gauche des Russes existaient des petites plaines ou se trouvait une partie de la 18é division d’infanterie Russe en réserve et commandée par le général Sherbatov. C’est contre cette division Russe que le général Doumerc vint faire une charge avec ses deux régiments de cuirassiers, une charge tout à fait inattendue. Surprise par cette attaque furieuse qu’elle n’avait pas imaginée, car les cuirassiers de Doumerc débouchant entre les arbres et les broussailles avec rapidité, cette division Russe fut sabrée et enfoncée, malgré les dragons de Saint-Petersbourg qui survinrent en secours.
Charge des cuirassiers de Doumerc, le sabre haut levé, peut-être le colonel Dubois commandant le 7e cuirassiers.
« toute l’affaire fut glorieuse pour les Français qui étaient en nombre très inférieur. » (Langeron)
Toile du peintre Edouard Detaille, cette toile nous montre des cuirassiers très rutilants, aucune trace des stigmates de privations ni de souffrances enfin de vrais soldats de Napoléon bien repus et en pleine forme, la réalité est autre, ce sont des soldats en guenilles transis de froid, montés sur des chevaux mal nourris qui ont étés les héros de cette charge, pour cette raison les soldats de Detaille sont « faux ».
Ce qui est confirmé par un témoin nommé Labaume (Eugène, géographe et officier d’ordonnance d’Eugène de Beauharnais) « Ces braves cuirassiers, exténués par l’excès des fatigues et des privations en tout genre, firent des prodiges de valeurs… »
Le général comte de Langeron, émigré français servant dans les rangs russes, écrira que la charge de la poignée de cavaliers français est » un bien beau fait d’armes, qui fit un grand honneur au général Doumerc et à ses cuirassiers… » venant d’un ennemi le compliment a son prix.
Sur la rive droite la route de Stakhovo à Borissov était un chemin forestier étroit qui ne permettait d’installer seulement deux pièces d’artillerie près de la sortie de la forêt avant le village de Brilli, mais chaque paire de canons était incapable de tenir sous le feu continu ennemi plus d’une heure, les gens et les chevaux tombaient, c’est pourquoi on tirait par équipe, en changeant les canons et les canonniers. Pendant six heures leur feu fut continuel et terrible. Les artilleurs du capitaine Arnoldi ont fait un exploit sans pareil, sans épargner leurs vies ils ont défendu ce chemin qui était la seule voie à travers les bois impénétrables de la rive droite de la Bérézina.
Langeron (émigré français au service de l’armée Russe) reconnaîtra que, pendant tout le temps du combat, jamais les batteries russes ne purent maîtriser celles des Français. Il reconnaît aussi que le 12e et 22e régiments de chasseurs Russes placés près de la Bérézina furent presque entièrement détruits. Les combats furent très sanglants, nous y perdîmes 7000 de nos meilleurs soldats. Il écrira au sujet de l’Amiral Tchitchagov; « il ne se donna pas la peine de venir donner des ordres ou des conseils et resta, très philosophiquement dans une maison du hameau (Stakhov) situé en arrière des bois et je l’y trouvai, le soir, prenant tranquillement le thé. »
Rive droite, le village de Stakhov, la route qu’empruntèrent les soldats Russes, afin de stopper à Brilli la retraite des Français. C’est ici, que l’Amiral Tchitchakov avait son quarier général..
Les combats les plus sanglants ont eu lieu dans les bois de Stakhov, toute la journée du 28 novembre jusqu’à 11 heures du soir. La bataille fut chaude, malgré un froid très vif. La charge des cuirassiers du général Doumerc fut déterminante et la maîtrise du champ de bataille resta aux Français, mais cependant la bataille de Bolchoï-Stakhov fut une victoire française chèrement acquise sur la route de la retraite.
Dans ce terrible affrontement du 28 novembre, les pertes des deux parties furent élevées, elles témoignent de l’acharnement de la bataille, cependant les pertes Russes furent plus importantes que celles des Français.
La route de Zembin, la route de la retraite était ouverte.
A la nuit, entre neuf heures et minuit, Victor et ses hommes passèrent la rivière, profitant de l’inattention de l’ennemi. Aussitôt sur la rive droite Victor fait mettre en batterie les restes de son artillerie malgré des soldats épuisés de fatigue, il a perdu près de 3.000 hommes, les Russes le double. Héroïquement les Français ont pu conserver la rive gauche et l’accès aux ponts.
Éblé et Victor, repassèrent la rivière et s’efforcèrent de faire bouger pour éviter qu’ils ne restent sur la rive gauche, cette foule inerte de milliers d’hommes abrutis par le froid et qui attendaient, de façon incompréhensible la levée du jour, pour passer eux aussi les ponts, alors que la route était libre. Cette nuit là, les ponts sont encore présents, mais l’aube, apportera l’ordre donné par l’empereur, ils doivent être détruits!.
D’Eblé, brûle les ponts.
Le 29 novembre à huit heures et demi, le général d’Eblé, apercevant les cosaques sur les talons de l’extrême arrière garde française (la division Girard), Éblé ne pouvant plus reculer, la mort dans l’âme, donna l’ordre fatidique, qu’il avait retardé d’une heure ou deux, sauvant ainsi encore quelques centaines de malheureux, de couper les ponts et d’y mettre le feu. C’est alors, l’ultime ruée, accompagnée d’une immense clameur, la foule stationnée sur la rive gauche de la Bérézina offrit un spectacle de désarroi, hommes, femmes, enfants, poussaient des cris de désespoir. Certains voulurent passer sur la rive droite en se jetant dans le pont enflammé, d’autres essayèrent de traverser la rivière à la nage au milieu des glaçons ou en se hasardant sur la glace qui céda sous leur poids et les engloutit.
.Le sergent Bourgogne : « Nous avions passé une mauvaise nuit. Beaucoup d’hommes de la Garde impériale avaient succombé. Il pouvait être 7 heures du matin. C’était le 29 novembre. J’allai encore auprès du pont, afin de voir si je rencontrerais des hommes du régiment. Ces malheureux, qui n’avaient pas voulu profiter de la nuit pour se sauver, venaient, depuis qu’il faisait jour, mais trop tard, se jeter en masse sur le pont. Déjà l’on préparait tout ce qu’il fallait pour le brûler. J’en vis plusieurs qui se jetèrent dans la Bérézina, espérant la passer à la nage sur les glaçons, mais aucun ne put aborder. On les voyait dans l’eau jusqu’aux épaules, et là, saisis par le froid, la figure rouge, ils périssaient misérablement. J’aperçus, sur le pont, un cantinier portant un enfant sur sa tête. Sa femme était devant lui, jetant des cris de désespoir. Je ne pus en voir davantage ; c’était au-dessus de mes forces. Au moment où je me retirais, une voiture dans laquelle était un officier blessé, tomba en bas du pont avec le cheval qui la conduisait, ainsi que plusieurs hommes qui accompagnaient. Enfin, je me retirai. On mit le feu au pont ; c’est alors, dit-on, que des scènes impossibles à peindre se sont passées. Les détails que je viens de raconter ne sont que l’esquisse de l’horrible tableau. »
Des scènes horribles se déroulent.
Le comte de Ségur : « Comme dans toutes les circonstances extrêmes, les cœurs se montrèrent à nu, et l’on vit des actions sublimes! et des actions infâmes. Suivant leurs différents caractères, les uns, décidés et furieux, s’ouvrirent le sabre à la main un horrible passage. Plusieurs frayèrent à leurs voitures un chemin plus cruel encore ; ils les faisaient rouler impitoyablement au travers de cette foule d’infortunée qu’elles écrasaient. Dans leur odieuse avarice, ils sacrifiaient leurs compagnons de malheur au salut de leurs bagages. D’autres, saisis d’une dégoûtante frayeur, pleurent, supplient et succombent, l’épouvante achevant d’épuiser leurs forces. On en vit, et c’étaient surtout les malades et les blessés, renoncer à la vie, s’écarter et s’asseoir résignés, regardant d’un oeil fixe cette neige qui allait devenir leur tombeau ! …
On aperçut des femmes au milieu des glaçons, avec leurs enfants dans leurs bras, les élevant à mesure qu’elles enfonçaient, déjà submergées, leurs bras roidis les tenaient encore au-dessus d’elles ! Ces flots de misérables roulaient les uns sur les autres, on n’entendait que des cris de douleur et de rage ! Parmi eux des femmes, des mères, appelèrent en vain d’une voix déchirante leurs maris, leurs enfants, dont un instant les avait séparées sans retour, elles leur tendirent les bras, elles supplièrent qu’on s’écartât pour qu’elles pussent s’en approcher, mais emportées çà et là par la foule, battues par ces flots d’hommes, elles succombèrent sans avoir été seulement remarquées. Dans cet épouvantable fracas d’un ouragan furieux, de coups de canon, du sifflement de la tempête, de celui des boulets, des explosions des obus, de vociférations, de gémissements, de jurements effroyables, cette foule désordonnée n’entendait pas les plaintes des victimes quelle engloutissait . » Aucune plume ne peut décrire la désolation qui s’offrit à nos yeux lorsque les Russes prirent possession de la rive gauche. »..
Les Cosaques massacrent un nombre de survivants estimé à entre 5000 et 10000. Beaucoup d’enfants, dont les parents avaient péri dans la traversée, furent recueillis par les villageois. Incapables de les nourrir, ils vendirent les orphelins aux hobereaux de la région qui payaient deux roubles pour une fillette de 6-7 ans et encore moins pour un garçon. En grandissant, les enfants oublièrent leur langue maternelle, leur famille et leur origine et se crurent biélorusses. Il y eut, d’ailleurs, des cas exceptionnels, tel celui de la petite Maria Sola, fille de l’Intendant principal de la pharmacie de l’armée française, que le juge L.Soutovitch, de Borisov, ramena à moitié gelée des bois de Stoudianka. Il la donna à la comtesse Sophie Tyszkiewicz, qui éleva l’orpheline avec ses filles puis l’aida à rechercher sa famille. En 1824, Maria, rentra en France où elle retrouva dans la société la place qui était la sienne.
Ce fut aussi une catastrophe pour les populations locales. Pour préparer la traversée, les sapeurs français détruisirent complètement les habitations des villages de Stoudianka et Bitcha et utilisèrent leurs rondins pour construire les ponts. Les paysans durent se réfugier dans les forêts, où ils devinrent vite des proies faciles pour les maraudeurs. Plus de la moitié de la population de ces villages périt et les survivants durent abandonner, pendant plusieurs années, ces lieux ravagés.
Ayant ramassé prisonniers et trophées, les armées Russes continuèrent à poursuivre l’ennemi. Elles n’eurent pas le temps d’enterrer les corps des soldats de la Grande Armée abandonnés autour des ponts et dans les forêts voisines. Les recherches à Stoudianka ont commencé sur les deux bords de la rivière. Les autorités locales ont ordonné de nettoyer les champs de bataille et la rivière. On a rassemblé les paysans de tout le district. On a découpé la glace. On a découvert des équipages entiers congelés. On tirait de la neige des biens jetés. On ramassait dans les bois aux environs une multitude de Français gelés. Des dizaines de milliers de cadavres français ont été enterrés dans les immenses fosses communes autour de Stoudianka. On a aussi recueilli beaucoup de biens pillés et récupérés de Moscou par les Français, des statues de marbre, des tableaux, des services de très belle qualité de porcelaine et de cristal, de l’argenterie de table, des objets en or. Ce n’est qu’en février-mars 1813 que le gouverneur civil de Minsk donna l’ordre d’enlever les cadavres. Pendant deux mois les paysans ramassèrent, enterrèrent ou brûlèrent 40 296 cadavres dans le seul district de Borisov, dont 8 052 à Stoudianka même. Les chiffres ne sont qu’approximatif car de nombreux cadavres avaient déjà été enterrés par les locaux qui redoutaient des épidémies. D’après des sources sérieuses, une énorme fosse commune ou plusieurs, fut construite à l’orée sud de Stoudianka. Là, des représentants de presque tous les pays d’Europe qui avaient participé à la campagne de 1812 trouvèrent leur dernière demeure.
On a encore ouvert un monument sur le Champ de Brili la veille du 150ème anniversaire de la Guerre nationale. C’est une stèle de fonte ornée d’un haut-relief aux sujets militaires et historiques (œuvre du lauréat du prix d’Etat N.A. Ryzhenkov ayant gagné le concours républicain en automne 1961). Les reliefs en fonte ont été coulés à Minsk à l’usine de construction de machines-outils. La construction du monument a commencé au milieu de 1962 et l’ouverture a eu lieu le 18 octobre 1962. Après le meeting d’ouverture on a tiré des salves d’artillerie pour cet évènement. Le monument porte une inscription en relief: « Pendant le passage de l’armée napoléonienne à travers la Bérésina le 26-28 (14-16) novembre 1812 les troupes russes ont détruit les restes de l’armée des envahisseurs napoléoniens pendant les batailles prés de la ville de Borisov et des villages de Stoudianka et Stakhovo ».
Dans le bois de la rive droite proche des monuments qui sont voisins, se trouvent plus d’une dizaine de Kourgans (tumulus), qui correspondent probablement à des ensevelissements en masse de février-mars 1813, des morts de la bataille de 28 novembre 1812, sur cette rive, dont beaucoup de soldats russes, car leurs pertes furent aussi très importantes.En 1813, on a entrepris le nettoyage du lit de la Bérésina près de Stoudianka sur l’ordre du gouvernement, des valises, des coffres remplis d’argenterie, des lingots d’argent et d’or, des pierres précieuses et beaucoup d’autres objets ont été retrouvés dans la rivière. Des recherches seront encore faites plus tard dans l’espoir de retrouver le trésor de Napoléon. L’imagination allait bon train. Tout avait été pillé et emporté de Moscou par les soldats Français, on pensait qu’ils avaient caché leur butin avant d’être achevé par le terrible hiver russe. Cette idée agite l’esprit des hommes encore de nos jours, de nombreuses publications à ce sujet continuent dans les journaux et les revues, mais le trésor reste introuvable. Le nombre de trouvailles à Stoudianka et ses environs diminuent rapidement avec le temps, il ne faut pas compter encore récupérer quelques restes, mais le lieu de ce désastre n’a pas encore entièrement ouvert tous ses secrets.
Un grand groupe de Français dont les parents sont restés à jamais sur les bords de Bérésina est arrivé pour l’ouverture du monument. Le groupe français était présidé par M. Fernand-Emile Beaucour, Directeur du Centre d’Etudes Napoléoniennes à Paris. L’ambassadeur de France en Biélorussie monsieur Bernard Fassier dans l’intervention au sujet de l’ouverture du monument a déclaré: »Dans la conscience du peuple français la Bérésina s’associe à une série de malheurs qui poursuivaient la campagne de l’armée napoléonienne… J’incline la tête devant le souvenir des soldats français et russes qui ont fait la guerre ici. J’incline la tête devant la terre biélorusse, qui est devenue le refuge pour ces soldats. »
C’est sur le site de la bataille victorieuse de Bolchoï-Stakhov, où l’armée française, une armée de fantômes et quelques soldats valides, réussit à déjouer l’encerclement des trois armées russes a sa poursuite, celle de Koutouzov, de Tchitchagov, de Wittgenstein, que nous les Français, avons érigé notre monument à la traversée de la Bérézina par l’armée française, une armée en lambeaux.
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Le misérable Amiral.
Qui a laissé Napoléon gagner la bataille et s’échapper de Russie.
Cependant Napoléon lui-même, et ses dix maréchaux, tous les généraux de corps d’armée et même divisionnaires, à l’exception de Partouneau (fait prisonnier sur la rive gauche), toute la garde, plus de deux mille officiers et presque sept mille soldats les plus combatifs ont échappé à l’encerclement et sont partis. L’aigle français a été grièvement blessé mais pas tué et n’a pas été capturé, de plus il s’est sauvé. Ce fait a été reconnu par Koutouzov affligé.
L’Amiral Tchitchagov, chassé de Russie
Le misérable Amiral, c’était le nom que donnaient les Russes à l’Amiral Tchitchagov, après le passage de la Bérézina, et la fuite des français. L’épouse même du Feld-Maréchal Koutouzov disait haut et fort a qui voulait l’entendre que « Wittgenstein avait sauvé Saint-Petersbourg, que son mari avait sauvé la Russie, mais que l’Amiral Tchitchagov avait sauvé Napoleon ».
On peut comprendre, pourquoi non seulement les Français, mais aussi un nombre des sommités de l’historiographie européenne, russe et soviétique (Karl von Clausewitz, M.Bogdanovitch, Е.Tarlé) en sont venus à la conclusion, que « le passage de Berezina représente le succès napoléonien remarquable », car « l’armée française a pleinement sauvé ici l’honneur et même s’est couvert d’une nouvelle gloire ».
Le 5 décembre 22h, à Smorgoni, Napoléon quitte cette armée de vagabonds qui ne l’intéresse plus.
« Eh bien, le brigand est donc parti! – Oui, il vient de partir à l’instant. Il nous a déjà fait le coup en Egypte. » Étonné de cette expression de brigand, j’appris avec surprise par la suite de la conversation qu’il s’agissait de Napoléon. Peu de temps après, l’armée fut instruite officiellement de ce départ.
(René Bourgeois, chirurgien-major du régiment Dauphin-Cuirassier)
Le 19 décembre 1812.
Murat, le major général Berthier et les maréchaux avaient atteint Koenigsberg, où ils établirent leur quartier général. La Vieille Garde les avait rejoint le même jour, et selon le rapport des effectifs que le maréchal Lefebvre remit à l’état major le lendemain, elle ne comportait plus que 1471 hommes debout, sur les 7000 du début de la campagne, 500 seulement pouvaient tenir une arme. Toute la Jeune Garde avait été détruite, 10000 malades ou blessés s’entassaient dans les hôpitaux de la ville. Parmi ces malades atteints d’une maladie contagieuse que les médecins appelaient la « fièvre de congélation » se trouvaient les généraux Lariboisière et Eblé. Le général Lariboisière, commandant en chef de l’artillerie, mourut de cette maladie le 21 décembre, il ne s’était pas consolé de la mort de son fils, tué à la bataille de la Moskowa.
Le général Eblé, nommé à sa place, ne survécut que dix jours à son chef, la fatigue les eaux glacées de la Bérézina eurent raison de sa santé.
Avec lui, pour les mêmes raisons, succombe la presque totalité de la centaine de pontonniers qui s’étaient mis à l’eau pour sauver l’armée. De ceux-là, il n’en restait que douze, quant aux trois cents autres pontonniers, un quart seulement avait survécu.
Le «coucou » y a laissé des plumes, mais il n’est pas mort. (Aigle Impérial, Musée de Borisov)
Pendant que les débris de la Grande Armée, superbe de puissance et d’orgueil six mois plus tôt arrivaient tant bien que mal, les uns à Koenigsberg, les autres sur la Vistule, Napoléon, lui, arrive à Paris, le 18 décembre, le terrible 29e bulletin l’avait précédé de deux jours. A onze heures trente du soir, il entrait aux Tuileries pour embrasser Marie-Louise et son fils, lui il était sauvé et indemne, tout au moins physiquement.
Armée française arrivant à Vilnius.
L’histoire de la campagne de Russie, commencée par des victoires à la « Pyrrhus » suivie d’une désastreuse retraite, avait une page de gloire, grâce au Général Elbé et à ses pontonniers qui, accompagnés d’un exceptionnel courage, allaient permettre d’être sauvé à ce qui restait de la Grande Armée.
Saluons aussi le courage et la bravoure des divisions des maréchaux Victor, Oudino, et Ney qui, sur les deux rives, repoussaient toutes les attaques de Wittgenstein et de Tchichagov.
Napoléon: « Au bout du compte, dit-il à Narbonne, qu’est-ce que tout ceci m’a couté? 300000 hommes et encore, il y avait beaucoup d’Allemands là dedans. »
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Un spectacle horrible et surprenant, une vaste surface de marbre blanc sur laquelle auraient été déposées les têtes de centaines de chevaux.
La Bérézina à Brili et Stoudianka, en aval de 300 mètres du lieu de passage. Aujourd’hui sur ses rives tout est calme, les clameurs de frayeur, de haine et de désespoir se sont tues. Ici la Bérézina était gorgée de corps raidis par la glace, d’hommes, de femmes, d’enfants et de chevaux, piétinés, écrasés, éventrés ou noyés.
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Epilogue.
Cette habitude du succès nous a couté bien cher en Russie. La glorieuse habitude d’aller toujours en avant avait fait de nous de vrais écoliers en fait de retraite. On n’a jamais plus mal combiné une retraite. Jamais convois ne marchèrent plus mal. La fortune lui avait si souvent souri qu’il ne put jamais la croire tout à fait infidèle. (Armand Augustin Louis de Caulaincourt)
Napoléon et Alexande, les faux amis.
Les événements de l’époque 1812 depuis longtemps appartiennent au passé. Mais le passage de la Bérézina, ne fût-il pas une nouvelle page glorieuse de l’histoire impériale?
Le général Major VAN VLIFMEN, membre de la Chambre des Pays-Bas, a écrit, en 1908 à ce sujet: « il fût un chef d’oeuvre de tactique, un exploit sans pareil dans les fastes militaires »..
Etrangement les habitants de Borisov ne connaissent pas ou ne veulent pas connaître le lieu de cette bataille pourtant célèbre autour de la Bérézina, ni les monuments commémorant cette affaire, ils sont seulement à une quinzaine de kilomètres de Brili, après de vaines demandes à différentes personnes, enfin, un habitant nous a indiqué la route à prendre. Ayant demandé un jour à un ami Bielorusse la raison de cette lacune des gens de Borisov et en général du peuple Biélorusse, (à part quelques érudits d’histoire nationale), la réponse a été la suivante, « Vous les Français connaissez mieux l’histoire de notre pays que nous même », mais pour les Bielorusses cet affrontement n’est pas une victoire, du moment que Napoléon avait pu s’échapper, alors ils préfèrent occulter ces évènements de leur mémoire..
Mais cependant dans le fond de leur coeur, les Bielorusses se rappellent les batailles grondant ici en 1812 et qui ont été la cause de nombreux malheurs. Les réquisitions des troupes aussi bien russes que napoléoniennes ont ruiné des centaines de villages biélorusses. Les denrées alimentaires et le fourrage ont été saisis par les uns et les autres. Des dizaines de milliers d’hommes ont été recrutés aux armées russes et françaises. La guerre a emporté presque 1.000.000 de vies de la population civile biélorusse ce qui signifie, qu’un Biélorusse sur quatre est mort de la famine et des maladies. Certes, les couches de la population qui vivaient sur ces terres avaient une attitude différente par rapport à cette guerre. Les Polonais voyaient en Napoléon et dans sa campagne l’espoir de la renaissance de la République Polonaise. Ce qui explique la participation et le rôle dans cette guerre des détachements polonais. Ils ont, par tous les moyens, aidé Napoléon. .
Quand les soldats de la Grande Armée deviennent des sujets du Tsar!
Régulièrement, Bielorusses et ceux d’origine française, viennent se recueillir sur le bord de la Bérésina. Ils déposent des couronnes dans le silence et la prière et les lancent dans la rivière en chantant des hymnes anciens. Depuis cette terrible époque, les cérémonies rappellent à la mémoire les pertes de tous ces hommes morts pour cette guerre inutile qui a contribué à l’histoire commune de deux peuples.
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Passionnée des guerres Napoléoniennes je recherche des personnes connaissant le lieu de LIADY bivouac de l’Empereur avant le passage de la Bérézina. village natal de mes ancêtres
Merci d’avance
Bonjour,
Je découvre avec plaisir cette intéressante étude sur le passage de la Bérezina et vous félicite pour la qualité de la présentation.
Préparant un article sur la charge des cuirassiers à la bataille de Bolchoï-Stakhov,en vue de publication, je voudrais savoir qui est l’auteur du tableau représentant la charge des cuirassiers et aussi me procurer une image ayant une meilleure définition que celle autorisée par internet. Cela change de celui de Détaille qui est archi-connu et dans le cas qui m’intéresse déjà utilisé. Même question pour les grenadiers hollandais. Je vous remercie d’avance de votre aide.
Cordialement. MW:.
Bonjour,
je viens de découvrir votre site, très intéressant sur la Biélorussie et la Bérézina.J’étais à Minsk, où mon fils s’est marié le 31 juillet. Nous avons ensuite, effectué un circuit pour découvrir ce pays et celui ci nous a amené au bord de la Bérézina. Nous avons découvert les deux mémoriaux Biélorusses, et je suis très très déçue de ne pas avoir vu le mémorial des Français. Pourriez vous me dire, où se situe celui-ci par rapport aux deux autres? Je prends même les coordonnées GPS si vous les possédées.
Merci d’avance pour votre réponse. Brigitte
Salut Roger’s,
Je viens enfin de prendre le temps de lire dans les grandes lignes la bataille de la Bérézina. En effet, ce fut horrible, surtout le fait de bruler les ponts juste au lever du soleil, et que des milliers de personnes furent tuer dans ce qui semble être d’horribles souffrances, et encore le mot semble faible. Le chant biélo en fin de page, juste avant le rapport, permet de se recueillir et d’avoir une pensée honorable à l’encontre de l’ensemble des soldats et civils tués, que ce soit les villageois biélos sous la contrainte des soldats français pour construire leurs ponts, et les civils français, abandonnés par une armée française en totale dont le seul objectif était apparemment de ramener un maximum de richesses volées aux russes et de sauver leur fameux aigle.
Encore bravo à toi pour toutes ses recherches et ses détails de bataille, qui ont du faire l’objet de recherche et d’un véritable travail de fourmi.
Nous t’embrassons.
Benny et Lala.