Premier interrogàtoire de Soleyman êl-Hhaleby.
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Premier interrogatoire de Soleyman êl-Hhaleby.
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Aujourd’hui 25 prairial, an 8 de la République française dans la maison du général de division Damas , chef de l’état- major général , a été conduit , par un sous- officier des guides , un homme du pays, prévenu d’avoir assassiné le général en chef Kleber ; lequel accusé a été reconnu par le citoyen Protain ingénieur , qui avec le général lors dudit assassinat , et qui a reçu lui-même plusieurs coups de poignard ; ledit accusé’ ayant d’ailleurs été remarqué à la suite du général depuis Gizeh , et ayant été trouvé caché dans le jardin où s’est commis ledit assassinat , dans lequel jardin on a aussi trouvé , à la même place il a été pris , le poignard duquel le général a été blessé, et divers haillons appartenant audit prévenu.
De suite il a été procédé à son interrogatoire par le général de division Menou , le plus ancien de grade de l’armée , commandant au Kaire ; lequel interrogatoire a été fait par l’entremise du citoyen Bracewich , premier secrétaire interprète de l’état-major, et rédigé comme il suit par le commissaire-ordonnateur Sartelon , requis a cet effet par le général Menou.
Le dit prévenu interrogé de son nom , âge, domicile et profession , a répondu s’appeler Soleyman , natif de la Syrie , âgé de vingt quatre ans , être écrivain arabe de profession , et avoir été ci-devant domicilié à Hhaleb ( Alep ),
Intérrogé combien il y a de temps qui il est au Kaire ;
A répondu qu’il y est depuis cinq mois et qu’il est venu avec une karavanne , dont le conducteur est le cheykh arabe Soleyman Bourygy.
Interrogé de quelle religion il est ;
A répondu être de la religion musulmane , avoir demeuré déja trois ans au Kaire et trois autres années à la Mekke et à Médine.
Interrogé s’il connoît le grand-vizir , et s’il l’a vu depuis quelque temps ;
Répondu qu’un Arabe comme lui ne connoit point le grand-vizir.
Interrogé quelles sont ses connoissances au Kaire;
Répond qu’il n’en a point ; mais qu’il se tient souvent près de la grande mosquée , dite Gamè-èl-Azard ; qu’il est connu de tout le monde, et que beaucoup de gens rendront compte de sa bonne conduite.
Interrogé s’il est allé ce matin à Gizeh ;
Répondu que oui , qu’ il cherchoit de l’emploi pour écrire , mais qu’il n’en a point trouvé.
Interrogé quelles sont les personnes pour lesquelles il a écrit le jour précédent ;
Répondu qu’elles sont toutes parties.
Interrogé comment il est possible qu’il ne connoisse aucun de ceux pour lesquels il a écrit ces jours passés , et qu’ils soient tous partis ;
Répond qu’il ne connoissoit pas ceux pour qui il écrivoit , et qu’il est impossible de se rappeler leurs noms.
Interrogé quel est le dernier pour lequel il a écrit ;
Répond qu’il s’appelle Mohhammed Moghrebyès – Souéys vendeur d’eau de réglisse ; mais qu’il n’a écrit pour personne à Gizeh.
Interrogé de nouveau sur ce qu’il alloit faire à Gizeh ;
Répond qu’ il y alloit pour demander à y être employé en sa qualité d’écrivain
Interrogé comment il a été pris dans le jardin du général en chef ;
Répond qu’il n’a pas été pris dans le jardin , mais dans le grand chemin,
Représenté qu’il ne dit pas la vérité, puisque les guides du général l’ont pris dans son jardin ou il étoit caché , et ont même trouvé un poignard qui lui a été exhibé ;
Répond qu’il est vrai qu’il étoit dans le jardin , mais qu’il n’y étoit pas caché; qu’il s’y étoit assis , parce que des cavaliers gardairent toutes les avenues , et qui il ne pouvoir pas aller au Kaire ; qu’il n’avoir point de poignard, et qui il ignore s’il y en avoit dans le jardin.
Interrogé pourquoi il suivoit depuis le matin le général en chef;
Répond que c’étoit pour avoir le plaisir de le voir.
Interrogé s’il reconnoît une lisière de drap vert qui semble faire partie d’une semblable qu’il a sur lui , et qui a été trouvée dans le jardin à l’endroit où le général en chef a été assassiné;
Répond que cela ne lui appartient point.
Interrogé s’il a parlé à quelqu’un a Gizeh , et où est-ce qu’il a couché ;
Répond qu’il n’a parlé à personne que pour acheter divers objets , et qui il a couché à Gizeh dans une mosquée.
A lui représenté que les blessures qu’il a à la tête prouvent que c’est lui qui a assassiné le général , puisque le citoyen Protain , qui était avec lui , et qui le reconnoit , lui a donné des coups de bâton qui l’ont blessé ;
Répond qu’il n’a été blessé que lorsqu’il a été pris.
Interrogé s’il n’a pas parlé ce matin à Housseyn Kyachef, et à ses mamlouks ;
Répond qu’il ne les a pas vus et qu’il ne leur a pas parlé.
L’accusé persistant dans ses dénégations, le général a ordonné qu’il reçût la bastonnade , suivant l’usage du pays : elle lui a été infligée de suite, jusqu’à ce qu’il ait déclaré qu’il étoit prés à dire la vérité. Il a été délié et interrogé de nouveau de la manière qui suit :
Interrogé depuis quand il est au Kaire ;
Répond qu’il y est depuis trente-un jours , et qu’il est venu de Ghazah en six journées sur un dromadaire.
Interrogé pourquoi il est venu ;
Répond qu’il est venu pour assassiner le général en chef.
Interrogé par qui il a été envoyé pour commettre le dit assassinat ;
Répond qu’il a été envoyé par l’agha des janissaires ; qu’au retour de l’Egypte les troupes musulmanes ont demandé à Alep quelqu’un qui put assassiner le général en chef de l’armée française ; qu’on a promis de l’argent et des grades militaires , et qu’il s’est présenté pour cet objet.
Interrogé quelles sont les personnes auxquelles il a été adressé en Egypte ; s’il a fait part à quelqu’un de son projet , et ce qu’il a fait depuis son arrivée au Kaire;
Répond qu’il n’a été adressé à personne et qu’il est allé s’établir à la grande mosquée ; qu’il a vu les chefs de la loi Mohhammed él Ghazzy, Seyd Ahhmed èl-Oualy,Seyd A’bd-allah èl Ghazzy, et Seyd A’bd-él-Qadyr él Ghazzy , qui logent dans ladite mosquée ; qu’ils lui ontconseillé de ne pas exécuter son projet , parce que cela seroit impossible , et qu’il seroit tué; qu’on auroit pu charger d’autres que lui de cette mission; qu’il les a entretenus tous les jours de son dessein , et qu’hier enfin il leur a dit qu’il vouloit terminer cela , et assassinerle général ; qu’il est allé à Gizeh pour voir s’il pourroit réussir ; qu’il s’est adressé aux matelots de la cange du général pour savoir s’il sortoit ; qu’on lui à demandé ce qu’il vouloit, et qu’ayant répondu qu’il désiroit lui parler, ils lui ont dit qu’il alloit tous les soirs dans le jardin ; que ce matin il a vu le général aller au Meqyâs et au Kaire , et qu’il l’a suivi jusqu’à ce qu’il l’ait assassiné.
Le présent interrogatoire fait par le général Menou , en présence des généraux de l’armée , des officiers de l’état-major , et des corps assemblés à l’état-major général , a été clos et signé par le général Menou , et le commissaire – ordonnateur Sartelon, soussignés, les jour , mois , et an que des autres parts ; l’accusé après lecture , a pareillement signé. Signature de l’accusé en lettres arabes. Le général de division Menou , le général de division Friand, le général de division Régnier , le général de division Damas , l’adjudant-général Valentin, l’adjudant général Morand , l’adjudant-général Martinet , Leroy , Sartelon, Baptiste Santi Lhomaca , drogman ; Jean Renuo , interpréte du général en Chef ; Damien Bracevich.
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Général Menou.
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Interrogatoire des trois cheykhs accusés.
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Cejourd’hui 25 prairial , an 8 de la République française , à huit heures du soir, ont été conduits dans la maison du général Menou , commandant l’armée , les nommés Seyd A’bd – Allah él-Ghazzy, Mohhammed él – Ghazzy , et Seyd Ahhmed èl-Oualy, tous les trois accusés de complicité dans l’assassinat du général en chef Kleber.
Le général Menou ayant ordonné leur interrogatoire, il a été procédé en présence de divers généraux réunis à cet effet , par l’entremise du citoyen Lhomaca , interprète , de la manière qui suit ;
Le nommé Seyd A’bd-Allah él-Ghazzy a été interrogé le premier , séparément , comme ci-après ;
Interrogé de ses noms, âge et profession ;
Répond s’appeler Seyd A’ bd- Allah él-Ghaz7y , natif de Ghazah, domicilié au Kaire , où il exerce depuis dix ans l’emploi de lecteur du koràn à la grande mosquée dire Gamè – èl – Azhar, et ne pas savoir son âge , qu’il croit être environ trente ans.
Interrogé s’il demeure à la mosquée et s’il a connoissance des étrangers qui viennent y loger;
Répond qu’il reste nuit et jour dans la mosquée , et qu’il est à portée de connoître les étrangers qui il remarque.
Interrogé s’il a connu des hommes arrivant de la Syrie il y a un mois ;
Répond que depuis cinquante jours il n’a vu arriver personne de la Syrie.
A lui représenté qu’un homme , arrivé de l’armée du vizir depuis trente jours , déclare le connoître , et qu’il ne paroît pas dire la vérité ;
Répond qu’il s’occupe uniquement de son emploi , qui il n’a vu personne de la Syrie , mais qu’il a entendu dire qu’il étoît arrivé une karavanne de l’Orient.
A lui représenté de nouveau que des hommes arrivés de la Syrie soutiennent lui avoir parlé et le connoître ;
Répond que cela est impossible, et qu’on peu le confronter avec ceux qui l’accusent.
Interrogé s’il ne connoît pas un nommé Soleyman, écrivain arabe , venu d’Alep depuis trente-un jours ;
Répond que non.
A lui représenté que cet homme assure l’avoir vu , et lui avoir communiqué divers objets importans ;
Répond qu’il ne l’a pas vu , que cet homme a menti et qu’il consent à périr s’il est convaincu de ne pas dire la vérité.
De suite le général ayant fait appeler Mohhammed él-Ghazzy également prévenu de complicité dudit assassinat, il a été procédé à son interrogatoire comme il suit :
Interrogé de ses noms , âge , demeure et profession
Répond s’appeler Cheykh Mohhammed êl-Ghazzy âgé d’environ vingt-cinq ans, natif de Ghazah, et domicilié au Kaire , il exerce l’état de lecteur du koran à la grande mosquée dite él- Azhar , depuis cinq ans , et d’où il ne sort que pour prendre des vivres.
Interrogé s’il connoit les étrangers qui viennent loger à la mosquée ;
Répond qu’il en vient quelquefois mais que le portier seul a affaire à eux ; que pour lui il couche quelquefois à la mosquée ou chez le cheykh Cherkaoui.
Interrogé s’il ne connoit pas un nommé Soleyman , venu de la Syrie il y a environ un mois ;
Répond qu’il ne le connoit pas , qu’il ne peut voir tous ceux qui arrivent , parce que la mosquée est grande.
Interrogé de déclarer ce que lui a dit Soleyman , attendu qu’il a assuré lui avoir parlé à la mosquée ;
Répond qu’il le connoit depuis trois ans , qu’ il sait qu’il a été à la Mekke, mais que depuis cette époque il ne l’a pas vu, et que s’il est revenu c’est à son insu.
Interrogé si Seyd A’bd-Allah èl-Ghazzy l’a connu aussi ;
Répond que oui.
A lui représenté qu’il est sûr qu’il a causé long-temps hier avec ce Soleyman , et qu’il y a des preuves à cet égard ;
Répond que cela est vrai.
Interrogé de dire pourquoi il a commencé de dire qu’il ne l’a point vu ;
Répond qu’il ne croit pas l’avoir dit , et que les interprètes se sont trompés.
Interrogé si ce Soleyman ne lui auroit pas parlé d’une chose très-criminelle, ce qui est d’autant plus vrai qu’on sait qu’il a voulu l’en empêcher ;
Il répond qui il ne sait rien de cela ; que Soleyman a fait différens voyages au Kaire, et qui il y est depuis un mois.
A lui représenté qu’il y a des preuves que ce Soleyman lui a dit qu’il vouloit tuer le général en chef, et qui il a voulu l’en empêcher ;
Répond qu’il ne lui en a pas parlé ; que hier seulement il lui a dit qu’il s’en alloit , et qu’il ne reviendroit plus.
De suite le nommé Seyd A’bd-Allah èl-Ghazzy a été reconduit pour être interrogé de nouveau ainsi qu’il suit :
Interrogé pourquoi il a dit qu’ il ne connoissoit pas le nommé Soleyman d’Alep, lorsqu’on a des preuves que depuis trente – un jours il l’a vu souvent , et lui a parlé tous les jours ;
Répond qu’il est vrai qu’il ne le connoit pas.
Interrogé s’il ne connoît pas le nominé Mohhammed èl-Ghazzy, qui est comme lui lecteur à la grande mosquée dite èl-Azhar ;
Répond que oui.
Et de suite lesdits cheykhs ont été confrontés de la manière qui suit ;
Interrogé ledit Mohhammed èl-Ghazzy s’il n’a pas dit que Seyd,A’ bd-Allah connoissoit ledit Soleyman ;
Répond que oui.
Interrogé ledit Seyd A’bd-Allah pourquoi il a nié la vérité ;
Répond qu’on lui a mal expliqué la demande , et que maintenant qu’on lui a parlé de Soleyman d’Alep , il avoue qu’ il le connoit.
A lui représenté qu’on sait qu’il a vu Soleyman plusieurs fois et qu’il lui a parlé souvent ;
Répond qu’il y a trois jours qu’il ne l’a pas vu.
Interrogé s’il n’a pas voulu l’empécher d’assassiner le général en chef ;
Répond qu’il ne lui a jamais parlé de ce projet , et que , s’il l’avoit fait , il l’auroit empêché de tout son pouvoir.
Interrogé pourquoi il ne dit pas la vérité, puisqu’il y a des preuves ;
Répond que cela ne peut pas étre , et qu’il n’a vu ledit Soleyman que pour se saluer réciproquement lorsqu*ils se sont rencontrés.
Interrogé si Soleyman ne lui avoit pas dit ce qui il venoit faire au Kaire ;
Répond qu’il ne lui a jamais dit.
Les deux prévenus ont été reconduits ; et le nommé Seyd Ahhmed él-Oualy a été amené pour être interrogé à son tour sur les faits ci-après ;
Interrogé de ses noms , âge , demeure et profession ;
Répond s’appeler Seyd Ahhmed êl – Oualy , natif de Ghazah ; être lecteur du koran à la grande mosquée depuis environ dix ans , et ne pas savoir son âge.
Interrogé s’il a connoissance des étrangers qui arrivent à la mosquée ;
Répond que son état est de lire le koran à la grande mosquée , qu’il ne s’occupe pas des étrangers.
A lui représenté que des étrangers arrivés depuis quelque temps, disent l’avoir vu à la mosquée ;
Répond qu’il n’a vu personne.
Interrogé s’il n’a pas vu un homme arrivé de Syrie , et envoyé par le grand-vizir , lequel homme assure le connoitre ;
Répond que non , et qu’on peut faire venir cet homme pour le confronter avec lui.
Interrogé s’il connoît le nommé Soleyman d’Alep ;
Répond qu’il connoît un nommé Soleyman qui alloit étudier chez un effendy, que cet homme étoit postulant pour entrer dans les mosquées ; qui lui a dit être d’Alep ; qu’il I’a vu il y a vingt jours , que depuis il ne l’a pas rencontré ; qu’il !ui a dit que le vizir étoit à Jaffa , et que ses troupes étoient mal payées , et le quittoient.
Interrogé s’il n’est pas le protecteur de ce Soleyman qui s’est réclamé de lui ;
Répond qu’il ne le connoît pas assez pour en répondre.
Interrogé si les deux prévenus d’autre part ne sont pas de sa connoissance , et si tous les trois ensemble n’ont pas parlé à Soleyman depuis peu de temps et notamment hier;
Répond que non ; que cependant il sait que ce Soleyman est venu faire des invocations dans la mosquée , qu’il y a placé des papiers dont le contenu étoit qu’il avoit confiance dans son créateur.
Interrogé si hier il n’étoit pas venu aussi placer de ces papiers ;
Répond qu’il n’en sait rien.
Interrogé s’il n’a pas voulu empêcher Soleyman de commettre une action criminelle ;
Répond qu’il ne lui a jamais parlé de cela ; que cependant il lui a raconté qu’il vouloit faire des folies , dont il a cherché à le détourner.
Interrogé quelles étoient les folies dont il lui a parlé ;
Répond qu’il lui a dit qu’il vouloit entrer dans le combat sacré et que ce combat consiste à tuer un infidèle , sans cependant qu’il lui ait nommé personne ; qu’il a voulu l’en détourner , en lui disant que Dieu avoit donné le pouvoir aux Français , et que rien ne pouvoit les empècher de gouverner le pays.
Ledit accusé a été reconduit , et le présent interrogatoire a été clos en présence des officiers généraux assemblés , et signé tant par le général Menou que par le commissaire-ordonnateur Sartelon qui a rédigé ce présent interrogatoire , requis à cet effet par le général Menou. Lecture faite aux accusés , ils ont persisté , et ont signé.
Au Kaire , les jour , mois et an que dessus.
Suivent trois signatures en arabe.
Signé le général de division AB. J. MENOU , SARTELON B. SANTI LHOMACA , DROGMAN.
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(Sources: Pièces diverses et correspondances, relatives aux opérations de l’armée d’Orient en Egypte.)
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